Culture mondiale et enjeux d’interculturation
Les quatre objectifs principaux de l’UNESCO rappelé dans le Rapport mondial 2018 sont de « soutenir des systèmes de gouvernance durables de la culture ; parvenir à un échange équilibré de biens et services culturels et accroître la mobilité des artistes et des professionnels de la culture ; intégrer la culture dans les cadres de développement durable ; promouvoir les droits de l'homme et les libertés fondamentales » .
Comme nous l’avons vu, l’ingénierie culturelle est à même de répondre à l’ensemble de ces perspectives, de leur donner un sens et des méthodes d’application, transférables à l’échelle internationale.
Pour soutenir des systèmes de gouvernance durables de la culture, la singularité et l’approche globale de l'ingénierie culturelle lui permettent de concevoir des politiques et dispositifs publics prospectifs et de développement à la fois en termes stratégiques, éthiques, fonctionnels et opérationnels. Afin d'anticiper les nouvelles transformations sociétales, elle dessinera une "troisième voie" transversale et étayée par le socle des droits culturels et du développement humain.
L’ingénierie culturelle est ainsi en capacité de mettre en place « la collégialité et des mécanismes décisionnels non bureaucratiques et participatifs, ainsi qu'un système de gestion autour des connaissances, de la transparence et des compétences pour conduire à des organisations culturelles fonctionnant de manière efficace, experte, indépendante et transparente » . Elle accompagnera de manière agile l’évolution de filières créatives polymorphes ainsi que la vie de leurs acteurs, au service du bien commun.
Pour parvenir à un échange équilibré de biens et services culturels et accroître la mobilité des artistes et des professionnels de la culture, l’intégration des enjeux de politique publique par l‘ingénierie culturelle permettra le partage d'une vision globale des écosystèmes fonctionnant en inter-dépendance.
Basée sur une éthique de la dignité, en s’appuyant sur les modèles coopératifs qui garantissent la primauté des valeurs d’intérêt général, de démocratie, de non-lucrativité dans une nouvelle logique entrepreneuriale, l’ingénierie culturelle peut créer des outils ad hoc pour aider les filières à se structurer et « concilier une économie frugale avec des objectifs de cohésion sociale, de collaboration, de participation et donc de solidarité », y compris internationales.
En favorisant la création d’un « supergorganisme » culturel de dimension mondiale, laissant place à l'ouverture et à la transformation par les autres sans défiance, l‘ingénierie culturelle fera en sorte que la réunion des entités en présence puisse « donner plus que la somme de leurs égo, si remarquables soient-ils ». Il s’agira de travailler à « l’architecture de l’entraide », qui doit prendre en compte les différents niveaux d’organisation, « peut se déployer à très grande échelle mais reste souple ». « Elle ressemble a des poupées russes où chaque poupée supérieure est plus complexe, et où les différentes tailles de poupées peuvent coopérer entre elles. L’ensemble de ces poupées forme un réseau de réseaux multicolores en perpétuelle évolution. »
Pour intégrer la culture dans les cadres de développement durable, l’ingénierie culturelle aura recours à des politiques publiques éclairées et transversales et à la mobilisation des sociétés civiles, en particulier autour des dispositifs et outils de l'ESS. Elle veillera en outre à ce que la culture intègre pleinement les cadres du développement durable, aussi bien au niveau stratégique que dans ses pratiques.
Pour promouvoir les droits de l'homme et les libertés fondamentales, le référentiel des droits culturels sera le socle de reconnaissance et d'émancipation défendu et promu par l‘ingénierie culturelle au profit d’une société de la connaissance, humaniste.
Ces quatre objectifs de l‘UNESCO constituent les piliers éthiques et démocratiques de la "culture mondiale", que l’ingénierie culturelle permettra de relier et de mobiliser les moyens de mise en oeuvre internationale, tant aux niveaux politique et institutionnel que fonctionnels et opérationnels.
Pourtant, cette expertise spécifique que représente l‘ingénierie culturelle est le fruit d’une histoire et d'un modèle français unique au monde. C’est la complexité du tissu culturel et créatif français qui a présidé et nécessité le développement de cette approche singulière d’étude, d’analyse et de mise en oeuvre stratégique des écosystèmes culturels sous leurs aspects socio-politiques, environnementaux, techniques, économiques et financiers. La place centrale qu’occupe (encore) la politique culturelle y joue un rôle essentiel, aux côtés de pays qui ont laissé un pan de leurs états à la seule régulation du marché. En effet, malgré ses défauts et sa difficulté de réinvention, la vision stratégique qu’induit la politique légitime le débat public et interroge le sens de son action, quand l’industrie limite ses perspectives à la recherche de marchés et à la séduction de nouveaux consommateurs.
Dans le monde entier, la France est ainsi considérée comme un lieu d’exception et une référence en matière culturelle. L‘ingénierie du même nom bénéficie de ce terreau pour tisser des liens entre une multitude d’acteurs, de méthodes, de processus et de projets culturels, dans une démarche complémentaire et inter-dépendante, nécessaire tant aux enjeux créatifs, de production, d’infrastructures, d’organisation, que politiques.
Pour comprendre, maîtriser et mettre en cohérence la conception, les fonctionnements et les processus à l'oeuvre autour des formes et des objets culturels - dont la complexité ne permet pas un pilotage simple - dans le monde, la France a donc une mission de partage et de transfert de son ingénierie en la matière, afin accompagner - de manière structurelle - le développement de ses partenaires et plus largement d'une vision universelle de la culture.
Cependant, il ne s'agit pas de reproduire un modèle néo-colonialiste qui tendrait à imposer notre vision, mais bien de co-construire des diagnostics et des propositions adaptées aux besoins des partenaires internationaux. Il faut avant tout étayer des démarches intégrées dans les réalités socio-culturelles et économiques des différents territoires. L’ingénierie culturelle mobilisera alors son approche systémique au service d'une méthode globale interactive et partagée.
Cette rencontre inter-culturelle implique de « rendre compte du caractère complexe, ambivalent et paradoxal du changement psychoculturel » , qui dépasse la logique de l’acculturation pour rejoindre ce que Zohra GUERRAOUI appelle « l’interculturation » : qui engage les partenaires de la relation dans une définition de soi et de l'autre, en redéfinissant à la fois les critères des appartenances respectives et communes. Il s'agit donc d’un processus d’enrichissement mutuel, de développement des « capabilités » , qui s'inscrit pleinement dans le référentiel des droits culturels et doit servir de base au rayonnement international de l‘ingénierie culturelle française. Celle-ci s’alimentera aussi des expériences partagées, dans une perspective d'amélioration continue, qui est cohérente avec ses objectifs.
Tout projet de transfert d’ingénierie culturelle devra s’inscrire dans ce cadre d’interculturation et donc émaner en premier lieu d’une demande manifeste d’un pays ou d’une institution partenaire, construite en concertation avec l’ensemble de ses parties prenantes.